Dans une décision du 11 janvier 2012, (n°10-28213), la Cour de cassation semble faire avancer la cause de la coquetterie masculine en confirmant la nullité pour discrimination du licenciement d’un chef de rang d’un restaurant gastronomique à qui l’on reprochait de porter des boucles d’oreille.
La lettre de licenciement indiquait :
« Vous avez été embauché au sein de notre restaurant gastronomique en qualité de serveur, par contrat à durée indéterminée en date du 1er août 2005.
Auparavant vous faisiez déjà partie du personnel de notre établissement en qualité d'apprenti depuis le 01er août 2003.
Le caractère gastronomique de notre restaurant exige des conditions esthétiques strictes pour les salariés en contact avec la clientèle particulière de notre établissement.
Alors que jusque là vous n'en portiez pas, vous êtes arrivés au restaurant le samedi 14 avril portant une boucle d'oreille à chaque oreille.
Je vous ai alors immédiatement expliqué que votre statut au service de la clientèle au quotidien ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes.
Je vous ai alors demandé de bien vouloir les ôter uniquement pour le service, le port de celles-ci pendant la mise en place ne me dérangeant pas puisque vous n'êtes pas, à ce moment là, en contact direct avec la clientèle.
Vous avez refusé et malgré mes nombreuses demandes réitérées depuis, vous n'ayez pas changé d'avis. »
Pour la Cour d’appel de Montpellier, comme pour la Cour de cassation, le licenciement est nul comme fondé sur un motif discriminatoire :
« Mais attendu qu'ayant rappelé qu'en vertu de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ou de son apparence physique, la cour d'appel a relevé que le licenciement avait été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", ce dont il résultait qu'il avait pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe. »
Il faut préciser que l’employeur avait pris le soin de faire attester plusieurs clients qu’il n’était pas admissible, dans un restaurant de cette catégorie, d’être servi par un salarié portant des piercings.
La Cour d’appel avait considéré qu’il s’agissait d’appréciations « subjectives » qui ne pouvaient peser sur l’appréciation du litige.
Cette décision est donc fondée sur le principe de non-discrimination (L 1132-1) et non pas, comme souvent dans ce type d’affaires, sur le principe de proportionnalité des atteintes à la liberté des salariés (L 1121-1 du Code du travail.)
On se souvient, en effet, que sur le fondement de ce dernier texte (qui dispose :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »), la même Cour de cassation avait considéré que le licenciement d’un adepte du bermuda était justifié (Cass. Soc. 12 novembre 2008, n°07-42.220).
Dans cette décision, la Cour de cassation considérait :
« Mais attendu qu'en vertu de l'article L. 120-2 devenu L. 1121-1 du code du travail, un employeur peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché ;
Et attendu que les énonciations tant du jugement du conseil de prud'hommes que de l'arrêt confirmatif font apparaître que la tenue vestimentaire du salarié était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail qui pouvaient le mettre en contact avec la clientèle et que l'intéressé, en faisant évoluer un incident mineur en contestation de principe et en lui donnant une publicité de nature à décrédibiliser la hiérarchie et porter atteinte à l'image de la société, a dépassé le droit d'expression reconnu aux salariés dans l'entreprise ; que le moyen n'est pas fondé. »
Alors, peut-on tirer des généralités de ces deux décisions, de l’une ou de l’autre ?
Comme souvent, la portée de ce que l’on appelle « la jurisprudence » est à relativiser.
Il existe rarement une seule règle jurisprudentielle et il est fréquent, au contraire, que des problématiques proches donnent lieu à différentes solutions.
Cela tient, également, à l’habilité des avocats qui tentent d’obtenir de la justice l’annulation d’un licenciement en se fondant sur des arguments législatifs divergents.
Or, la Cour de cassation ne tranche que sur les points de droit qu’on lui donne à juger.
En l’occurrence, pour ce salarié, l’angle de la discrimination était le bon !